Une tortue était,
à la tête légère,
Qui lasse de son
trou voulut voir le pays :
Volontiers on fait
cas d'une terre étrangère,
Volontiers gens
boiteux haïssent le logis.
Deux canards, à
qui la commère
Communiqua ce beau
dessein,
Lui dirent qu'ils
avaient de quoi la satisfaire :
" Voyez- vous
ce large chemin ?
Nous vous
voiturerons, par l'air, en Amérique,
Vous verrez mainte
république,
Maint royaume,
maint peuple, et vous profiterez
Des différentes
moeurs que vous remarquerez.
Ulysse en fit
autant. " On ne s'attendait guère
De voir Ulysse en
cette affaire.
La tortue écouta
la proposition.
Marché fait, les
oiseaux forgent une machine
Pour transporter la
pèlerine.
Dans la gueule en
travers on lui passe un bâton.
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" Serrez bien,
disent-ils ; gardez de lâcher prise. "
Puis chaque canard
prend ce bâton par un bout.
La tortue en
levée, on s'étonne partout
De voir aller en
cette guise
L'animal lent et sa
maison,
Justement au milieu
de l'un et l'autre oison.
" Miracle,
criait-on. Venez voir dans les nues
Passer la reine des
tortues.
- La reine.
Vraiment oui. Je la suis en effet ;
Ne vous en moquez
point. " Et eût beaucoup mieux fait
De passer son
chemin sans dire aucune chose ;
Car lâchant le
bâton en desserrant les dents,
Elle tombe, elle
crève aux pieds des regardants.
Son indiscrétion
de sa perte fut cause.
Imprudence, babil,
et sotte vanité,
Et vaine
curiosité,
Ont ensemble
étroit parentage.
Ce sont enfants
tous d'un lignage. |